Tout le monde peut-il devenir vegan ?
Seulement un faible pourcentage de la population Française est vegan ou végétarien (entre 2,5 et 5%) : cette population doit donc avoir des caractéristiques particulières qui la distingue de la population générale.
Comment expliquer que beaucoup de personnes sont sensibles à la cause animale mais n’arrêtent pas pour autant de manger de la viande ? Comment expliquer que certains deviennent flexitarien plutôt que végétarien ou vegan ?
Pour devenir vegan, cela nécessite un changement drastique d’habitude, or ce type de changement est coûteux psychologiquement et socialement, et tout le monde n’est pas prêt à payer ce coût. Construire des habitudes en opposition à une norme invisible établie requiert des qualités particulières pour se différencier du comportement dominant qui est de se conformer à la norme. Je fais donc l’hypothèse qu’un certain profil de personnalité est plus à même de « matcher » avec les caractéristiques nécessaires pour être vegan : les personnalités obsessionnelles.
Devenir vegan nécessite différents mécanismes psychologiques : construire une habitude qui va à l’encontre d’une norme établie, avoir un contrôle fort sur son alimentation (filtrer les « bons » et les « mauvais » aliments), avoir un souci du détail, une tendance au perfectionnisme et des exigences morales très élevées (viser le zéro produit animalier), et avoir une capacité d’arrêter totalement les produits animaliers plutôt qu’en diminuer la quantité (fonctionnement en tout ou rien).
De l’autre côté, les personnalités obsessionnelles sont caractérisées par un besoin de contrôle, des règles morales fortes et rigides, une tendance à la culpabilité, une tendance au perfectionnisme, un souci du détail, une tendance à fonctionner en tout ou rien (s’implique entièrement ou pas du tout, tout doit être fait parfaitement ou ne pas être fait du tout).
On voit bien l’adéquation entre un profil « obsessionnel » et les mécanismes psychologiques et comportementaux nécessaires pour être et rester vegan. Cependant, je ne pense pas que tous les vegans aient une personnalité obsessionnelle, il y a certainement beaucoup de profils différents, par contre mon hypothèse est que le fait d’avoir une personnalité obsessionnelle facilite fortement l’adhésion à ce régime alimentaire et donc ce type de profil devrait être particulièrement présent dans cette population.
Les bénéfices liés à ce profil
Je vais commencer par faire une analogie avec la courbe d’adoption d’un outil technologique. Pour un nouvel outil technologique comme le fut la télé ou les smartphones, avant que la majorité n’adopte cet outil, il y a d’abord des gens avec un profil très spécifique qui décide de l’acheter : on les appels les early adopters. Ces gens ont un profil de personnalité particulier, qui est différent de la population moyenne : tout le monde n’a pas acheté un ordinateur, un smartphone ou un casque de réalité virtuel au tout début. Leur profil est donc caractérisé par des traits et comportements spécifiques : la curiosité pour rechercher activement de l’information sur les innovations, le fait d’être prêts à acheter un produit imparfait ou inconnu…
J’ai présenté cette analogie car je pense que les obsessionnels sont les early adopters du régime végan, sans eux il n’y aurait pas une existence durable de ce mouvement, ni la médiatisation présente actuellement, ni la démocratisation actuelle de l’offre d’aliments vegans en restaurant et grande surface qui permet de toucher et de rendre plus accessible ce régime à des personnes ayant des profils plus classiques. J’ai énormément de reconnaissance pour ce type de personnalité, car elles ont vraiment permis de lancer le mouvement et de le tenir dans la durée.
Même si ce type de personnalité génère souvent une souffrance psychologique pour le propriétaire de cette personnalité (rigidité relationnelle, culpabilité, sentiment de ne pas être à la hauteur, besoin de contrôle excessif…), on voit que ce type de personnalité est extrêmement utile dans ce contexte pour la promotion de cette noble cause.
Christophe André parle de psycho-diversité : le fait que chaque profil de personnalité peut avoir son utilité et sa place dans notre société.
Les problèmes liés à ce profil
Si les personnes obsessionnelles sont extrêmement utiles pour initier et maintenir ce mouvement, je pense que les mécanismes utiles au départ vont se révéler problématiques pour communiquer et influencer d’autres personnes dans un second temps, ce qui est un élément critique pour la croissance de ce mouvement.
J’identifie deux problèmes au fait que le mouvement vegan puisse être surtout représenté par ce type de personnalité là :
- Une souffrance personnelle chez les adhérents et militants ayant ce type de personnalité avec un risque d’humeur dépressive en lien avec une tendance à la culpabilité, au perfectionnisme et à une vision binaire en tout ou rien sans aspect progressif ou continu (bon vs mauvais, réussite vs échec, très impliqué vs ne rien faire).
- Une manière de communiquer ses idées avec des mécanismes obsessionnels c’est à dire très rigide, jugeant, contrôlant et culpabilisant ce qui peut sincèrement contribuer à nuire à l’image de ce mouvement et à décourager les personnes curieuses de rejoindre ce mouvement qui souhaiterait commencer progressivement ou qui auraient davantage besoin de soutien que de jugement.
Point réflexion : étude entre dépression et régime végétarien
Une étude britannique réalisée en 2018 (Hibbeln, Northstone, Evans & Golding) sur 10 000 hommes a mesuré que les personnes avec un régime végétarien avaient 2 fois plus de risque de souffrir de dépression que le reste de la population. Il s’agit cependant d’un lien de corrélation et non de causalité. Cette étude n’apporte pas de preuve pour établir qu’un régime végétarien cause plus de dépression, il y a en effet plusieurs interprétations alternatives comme le fait que des personnes dépressives peuvent avoir plus tendance à être végétarienne ou encore qu’un troisième facteur expliquerait le lien entre les deux. J’ai vu beaucoup de réactions défensives sur les réseaux sociaux de la part des végétariens par rapport à cette étude, alors qu’ils n’ont pas forcément pris la peine de la lire (la dissonance cognitive s’applique à tout le monde bien évidemment). Je pense au contraire, qu’il est important de la lire et de se saisir des informations constructives qu’elle peut apporter. L’hypothèse privilégiée par les auteurs pour expliquer cette corrélation serait un déficit en vitamine B12 ou en fer. Cependant, une hypothèse alternative pertinente serait la présence d’une personnalité obsessionnelle pourrait contribuer à expliquer une partie du lien entre dépression et végétarisme, car ce type de personnalité serait plus à même de garder un régime végétarien strict tout en étant plus à risque de souffrir de dépression. Il n’y a pas à se défendre de ses résultats, mais à les considérer comme une opportunité constructive pour ce mouvement et cela de deux façons :
- S’il y a un déficit en vitamine B12 fréquent chez les végétariens et végans, cela serait utile de voir comment le limiter : apporter d’avantages d’informations aux personnes qui débuteraient ce type de régime (organisation d’atelier de nutrition…) et de sensibiliser d’avantage les professionnels de santé…
- A l’inverse, si c’est lié au profil de personnalité, les associations de défenses animales pourraient promouvoir auprès des adhérents et militants une manière harmonieuse de vivre ses aspirations éthiques et ses engagements militants afin de préserver leur bien-être comme fin en soi mais aussi pour faciliter un engagement durable au service de cette cause. Toute cause à défendre me semble être plus un marathon qu’un sprint, et si vous souhaitez que le monde ait changé demain à 10h par ce que vous l’avez décidé, le monde n’avancera jamais assez vite pour vous et vous risquez de vous épuiser et de peut-être vous désengager de cette cause.
Propositions en prenant en compte ce profil
Ces différents constats impliquent la nécessité d’ancrer le mouvement vegan dans une dimension positive et bienveillante avec les propositions suivantes :
- Assouplir les fonctionnements « rigides » liés aux personnalités obsessionnelles qui pourraient se révéler problématiques avec une formation à la communication non violente pour les militants et les adhérents des associations.
- Se demander régulièrement comment communiquer efficacement, c’est à dire d’une manière qui permette à l’interlocuteur de se saisir du message et de soutenir un changement d’attitude ou de comportement chez lui. Cela sera plus efficace que de simplement suivre la direction comportementale indiquée par nos émotions (si on est agacé que le monde ne change pas en même temps que nous, on va communiquer avec agressivité et jugement, ce qui est contre-productif).
- Associer une place pour chacun : mettre les personnalités « obsessionnelles » à un rôle dans lequel elles excellent, c’est à dire à des activités de rigueur, d’anticipation, d’organisation et de planification (organisation d’événement, de plans d’actions…) mais mettre d’autres profils pour les activités relationnelles et communicationnelles comme des personnes qui sont caractérisées par des compétences émotionnelles et sociales significatives.